Qu’est-ce que le BOZENDO ? Une gymnastique avec un bâton long ? Une méthode de défense au bâton long ? La voie du Zen par la pratique du Bâton Long ? Ou est-ce bien plus que toutes les réponses à toutes ces questions réunies ?
En parlant de BOZENDO, j’ouvre ici une parenthèse sur le mot « Bô » de BôZenDo. Celui-ci se traduit par « bâton long ». Dans les arts martiaux traditionnels japonais, ce bâton mesure 1.80 m de long. Il existe bien d’autres tailles de bâton comme le Jo qui mesure 1.27 m ou comme le Hanbô qui mesure 90 cm. Le bâton du BOZENDO, d’une longueur de 1.50 m, n’a pas d’équivalent dans les arts martiaux japonais.
Je rappelle que l’origine du BOZENDO est chinoise et qu’en réalité nous pratiquons un art martial chinois déguisé en art martial japonais. Le BOZENDO ou P’OUKIATÖ (son nom chinois) n’existe donc pas au Japon puisque sa codification japonaise a été réalisée par Maître Francis VIGOUREUX, en France, dans les années 1970, pour le rendre plus accessible à ses élèves, tous alors pratiquants le JUDO et habitués à une codification japonaise.
De ce fait, la signification de « Bô » que nous retenons en BOZENDO est uniquement celle-ci: « Ensemble de techniques de frappes, parades, esquives, désarmements et projections réalisées à l’aide d’un bâton long » ou encore « Méthode au bâton long ». Cette remarque particulière sur le mot « Bô » poussera certains à se poser cette question : Est-ce une négligence de Maître Francis VIGOUREUX ?
La réponse à cette question se trouve dans les trois idéogrammes du BOZENDO choisit par Maître Francis VIGOUREUX et qui accompagnent le mot « BOZENDO ».
Comme le rappelait souvent Maître Marc PIQUEMAL, SHIHAN 9°DAN en parlant de Maître Francis VIGOUREUX : « Le Maître ne laissait rien au hasard ! ».
Ces trois Idéogrammes sont : DAO (TAO ou DO en japonais), ZHI, DE (Vertu).
Aucun de ces trois idéogrammes ne représente le mot « Bô » ou « bâton long ». Ce qui se rapproche le plus du « bâton en bois » est le deuxième idéogramme « ZHI » qui signifie branche, ramification. La branche c’est le bâton duquel sortent et se prolongent ses propres ramifications. Comme une invitation à voir et avancer bien au-delà du simple sens de « bâton long », le caractère « ZHI » évoque La Voie qui s'ouvre au Bozendoka.
Cette voie n’est pas la voie représentée par le caractère « DO » (TAO en Chinois) dont le sens plus profond peut être étudié en consultant le Dao-De-Jing (ou Tao-Te-King) de LAO-TSEU. Je ferme la parenthèse.
Le KEIKO du BOZENDO est composé de 9 principes et nous entraîne dans une aventure particulièrement riche tout au long de notre vie de Bozendoka, tant il y a de techniques variées et de possibilités d’exercices, tant cette pratique nous permet de modeler et renforcer notre corps mais aussi notre mental sur un chemin sans limite, que celle que nous nous fixerons nous-même.
Partons donc à la rencontre du contenu de ce KEIKO et concentrons-nous un instant sur quelques notions fondamentales de celui-ci.
Le 1° principe, ITIKYO ou l’art de manipuler le Bô est un travail pratiquement en solitaire accompagné uniquement de notre Bô. Le ITIKYO nous fait découvrir un Bô non pas comme objet inanimé mais comme une prolongation de notre corps (ZHI) avec toutes les possibilités que celle-ci nous apporte. Ce travail de manipulations ne peut se faire sans l’étude primordiale du HATIKYO, 8° principe, l’art de se positionner et de se déplacer, et qui comme l’ensemble des principes du BOZENDO, sait donner une réponse, ou une solution adaptée à chaque situation.
Précisons ici que le BOZENDO s’est construit sur de solides fondations comme la plupart des Arts Martiaux chinois, et que ces fondations ne sont autres que les postures et les déplacements, sans lesquelles le BOZENDO ne serait pas le BOZENDO. Maître Marc PIQUEMAL, SHIHAN 9°DAN, les dernières années de sa vie, n’enseignait pratiquement plus que le HATIKYO. « Aucun principe du KEIKO ne peut être appréhendé sans avoir préalablement assimilé au moins les bases du HATIKYO ! » disait-il. « Nous sommes comme des enfants qui doivent apprendre à marcher, ou comme des adultes qui doivent réapprendre à marcher ! » ajoutait-il.
Certains diront, mais pourquoi un principe si important se trouve en huitième place du KEIKO ? Ne devrait-il pas être le premier principe du KEIKO ? La réponse coule de source, le HATIKYO précède le 9° principe du KEIKO qui est le KUKYO, la forme parfaite des katas ancestraux. Le HATIKYO accomplit ce lien, entre le KUKYO et les autres principes comme un trait d’Union ô combien nécessaire de travailler comme il se doit.
J’ouvre une nouvelle parenthèse. Le HATIKYO ne se résume pas aux simples déplacements : Taïsabaki, Tsugi-ashi et aux différentes gardes : basse, moyenne, haute, droite, gauche... Il existe toute une subtilité de différentes manières de faire un pas en avant, en arrière ou de côté, selon les éléments qui sont en jeu, selon les forces à déplacer, selon la vitesse d’exécution ou l’espace disponible, selon l’effet du bâton à produire, etc. Toute cette subtilité est le HATIKYO, car tout un chacun sait marcher, courir et sauter même avec un bâton à la main, sans même être pratiquant de BOZENDO. Tout change et prend un sens HATIKYO quand l’action ne se trouve plus limitée par le Bozendoka lui-même dans sa volonté de faire les choses comme il l’entend, mais quand cette action a pour acteur un Bozendoka qui s’ouvre à d’autres dimensions, d’autres possibilités, celles suivant les Lois du TAO, ce que le Maître fondateur du BOZENDO illustra en utilisant l’idéogramme ZHI. Il n’existe alors plus une seule façon de mettre un pied devant l’autre mais presque une infinité.
Alors, dans l’action, sans forcer, les coups deviennent puissants. Sans même chercher à tromper son adversaire, le Bô disparait du visuel et parcourt l’espace en un instant infinitésimale. Les bras ne travaillent plus en force car ne sont pas le moteur principal. Le Bozendoka est tantôt enraciné solidement dans le sol comme un chêne, tantôt comme le sable soufflé par le vent, le Bozendoka s’envole dans un tourbillon et disparait de la trajectoire de l’attaque de son adversaire. Il est ici en cet instant, il est là l’instant suivant. Le Bozendoka navigue entre terre, mer et ciel, tel un Homme libre dont le corps et le mental se sont débloqués (lire les 10 principes fondamentaux préconisés par Maître Francis VIGOUREUX).
J’insiste donc bien sur la nécessité d’accorder une grande importance au travail du HATIKYO, principe complexe, des plus éprouvants physiquement, surtout au début, et si important pour les Maîtres des Arts Martiaux chinois. Regardez les pratiquants de Taïchi, de Kungfu et retenez bien mentalement ce que vous voyez, puis remettez vous en question dans votre pratique, sans vous décourager pour autant. Personne n’aime fléchir, tout d’abord parce que ça fait mal aux jambes quand celles-ci ne sont pas entrainées régulièrement, et puis aussi, le fait de fléchir nous fait perdre de la hauteur et personne n’aime se rabaisser, surtout en occident. Comme disait Maître Marc PIQUEMAL lorsqu’on pratiquait le NIKYO par exemple : « Fléchissez, soyez plus petit que votre Bô, vous êtes trop grands ! ». Cette observation lors du travail du NIKYO n’était pas la seule que nous pouvions entendre, mais celle-ci en particulier nous permettait d’apercevoir une nouvelle porte, celle s’ouvrant sur un état d’esprit HATIKYO. Je ferme la parenthèse.
Le 2° principe, NIKYO nous plonge dans l’univers du combat avec partenaire. Les techniques d’attaques et de parades de base. Pourquoi Univers, car selon le partenaire avec lequel vous allez travailler, la manière de pratiquer changera, c’est la voie de l’adaptation aux autres qui s’ouvre. En face de soi, homme ou femme, petit ou grand, fragile ou massif, nerveux ou mou… chaque partenaire est une nouvelle leçon.
Comme le disait souvent Maître Marc PIQUEMAL « On a du mal à s’adapter aux choses et par paresse ou orgueil on force souvent les choses pour que ce soient celles-ci qui s’adaptent à nous ! ». En d’autres mots, nous devons vaincre un adversaire de taille car nous lui donnons une dimension trop importante. Cet adversaire, c’est nous même.
La technique BOZENDO à réaliser durant NIKYO ne change pas, le KEIKO est immuable, seule change votre manière de présenter ce NIKYO. La dimension du NIKYO ne s’arrête alors plus à une codification stricte et rigide mais s’étend indéfiniment, comme la ramification ZHI. Tout change en soi, au sein même du Bozendoka qui fait l’apprentissage de l’adaptation permanente, tout en souplesse, sans contrainte, il est comme l’eau prenant la forme de son récipient. Nous retrouvons ici le principe du HATIKYO, l’Art de se positionner qui va bien au-delà de la forme physique et embrasse aussi une certaine forme mentale, toute aussi mobile.
Le 3° principe, SANKYO ouvre une porte à ce corps et à cet esprit devenus résistants et agiles à force de pratique du NIKYO. L’art des esquives et des ripostes GO-NO-SEN. Ces esquives ne sont pas uniquement celles réalisées face aux attaques du partenaire mais aussi celles face à nos blocages au sein de l’action. Ne pas bloquer le mouvement, laisser passer le Bô, le nôtre tout comme celui du partenaire. Une fois de plus nous voyons l’importance du HATIKYO, des postures et des déplacements, sans lesquels il ne serait pas possible de pratiquer SANKYO.
Un manque total d’harmonie ou de synchronisation avec le partenaire, donne comme résultat visuellement parlant, deux personnes travaillant leurs techniques l’une après l’autre, à tour de rôle. Le SANKYO devient alors NIKYO. Ceux qui parviennent à réaliser l’Union entre eux et leur partenaire dans l’exécution des techniques, donnent l’impression de ne voir plus qu’une seule et même personne constituée de deux corps durant l’action et l’enchainement des techniques. Les phases Yin et les phases Yang se succèdent parfaitement de la même manière que Yin et Yang s’entrelacent et forment TAO (DAO).
Le 4° principe, YONKYO ou l’art du vide nous fait entrer dans une nouvelle sphère de sensations et d’apprentissage. Simplement, on ne présentera au partenaire que le vide à chacune de ses attaques. Il va sans dire que cette prouesse ne peut se réaliser, une fois de plus, sans une certaine maîtrise du HATIKYO, et une grande souplesse corporelle et mentale. Point de crispation, de peur ou de préméditation, nous rejoignons ici l’esprit ZEN des japonais ou TCH’AN des chinois. Le Bozendoka doit entrer dans ce jeu, l’esprit libre, le corps libre.
Mais cette liberté n’est pas un état d’errance libre comme une feuille transportée au grès du vent ou entrainée par le courant de la rivière. Le Bozendoka doit parvenir à se libérer de son EGO (dépouillement du ZEN) pour être lui-même (sa vraie nature ou TAO), mais également il doit devenir son propre partenaire. Tout ce que le partenaire fait, nous le vivons avec lui au même instant que lui le vit. Le Bozendoka devient à la fois la feuille et le vent. Qui dirige qui, qui suit qui ? Il faut ici faire preuve d’une grande intuition, percevoir les attaques avant même qu’elles n’aient lieu. Il ne s’agit plus d’agir selon la loi de l’action-réaction.
Le 5° Principe est le GOKYO ou l’art de désarmer le partenaire ou adversaire, bien que le deuxième mot présente une certaine idée d’opposition dont nous ne sommes pas friands en BOZENDO. Oter le Bô des mains du partenaire semble une tâche facile alors qu’elle ne l’ai point, car nous cherchons souvent à désarmer à tout prix notre partenaire, ce qui nous place automatiquement en opposition avec lui et il devient alors adversaire. Nous devons alors agir en force ce qui nous éloigne du TAO.
Le GOKYO prend vraiment sa place au sein du BOZENDO lorsqu’il n’y a pas de force excessive à déployer pour désarmer le partenaire. Aussi, nous ne nous concentrons non pas sur son Bô à ôter de ses mains mais nous visualisons l’ensemble : partenaire + Bô. Nous retrouvons ici le HATIKYO dont les principes d’action vont au-delà du cercle formé par nous-même qui désarmons, pour s’étendre à tout ce qui compose l’espace, ceci incluant notre partenaire (ZHI).
La posture du partenaire est un élément clé de la réussite d’un désarmement. Il est impossible de désarmer un partenaire bien enraciné au sol, en parfait équilibre. Le GOKYO, c’est savoir agir au moment où il existe une opportunité de réussir un désarmement, mais aussi et surtout, c’est savoir agir au moment dit de Transition. Le moment précis où le Yin devint Yang ou le Yang devient Yin, cet instant où ils se superposent presque. Est-il possible de percevoir mentalement cet instant et même de le définir par les mots ? Comme disait Maître Marc PIQUEMAL : « Vieux Yang devient jeune Yin, vieux Yin devient jeune Yang... ». Cette notion a ici une place insoupçonnée. Lorsque le partenaire n’est plus sur Terre, ni sur mer, ni dans le ciel; son assise, son mental permettent le désarmement, lequel se réalise sans effort. Nous devons donc être attentifs à notre partenaire tout entier.
Le 6° principe, ROKUKYO représente une sphère importante du BOZENDO qui est intimement liée au JUDO pratiqué par Maître Francis VIGOUREUX. Nombreuses sont les techniques du ROKUKYO qui rappellent celles du JUDO à quelques détails près puisque au lieu de saisir notre partenaire par le Kimono, nous faisons usage de notre Bô que nous devons apprendre à placer, soit sur certaines parties du corps du partenaire, soit sur son propre Bô, que notre partenaire refuse de lâcher et dans cet entêtement offre un levier propice aux projections.
Une fois de plus, et me répétant inlassablement comme le faisait Maître Marc PIQUEMAL, le HATIKYO a ici sa place, et une place importante dans ce jeu entre partenaires où l’un devra projeter l’autre au sol, soit en chute plaquée, soit en roulade. Tout comme en JUDO, entrer dans le centre de gravité du partenaire permet de le projeter plus efficacement. Ceci n’étant possible qu’en fléchissant. Egalement, savoir utiliser sa force permet de le projeter plus facilement au sol, chose qu’il accepte volontiers n’ayant plus le choix et évitant ainsi une luxation, ou de s’écraser lamentablement au sol.
Le ROKUKYO n’est autre que l’apprentissage que fait le Bozendoka de savoir comment utiliser le Ki du partenaire, son KI potentiel tout comme son KI libéré, sans se mettre en danger lui-même. C’est aussi savoir déterminer l’espace qui s’offre à lui pour faire chuter l’autre ou se projeter lui-même. Un espace physique mais aussi un espace-temps bien déterminé et transitoire. Ensuite, il est important de bien connaitre les faiblesses de la construction d’un corps (articulations) et d’une posture. La posture du partenaire détermine son déséquilibre latent, la gravité nous vient en aide au moment de la projection.
Le 7° principe, le SITIKYO, nous enseigne les différentes manières de chuter et rouler au sol. Certains diront que le contenu de ce principe aurait très bien pu faire partie du ROKUKYO. Cependant, le SITIKYO doit être abordé comme un art à part entière. L’art de se tirer d’affaire, diront certains ou l’art d’apprendre à se relever, diront d’autres. Chuter ou rouler sur n’importe quel type de sol, tapis, sable, terre, bois, béton parfois n’est pas une mince affaire, et mieux vaut commencer cet apprentissage dès le début de la pratique du BOZENDO. Point de SITIKYO possible sans une bonne technique tout comme point de SITIKYO possible sans un mental approprié qui saura abandonner la peur de se blesser.
Ce principe nous apprend essentiellement à redescendre les pieds sur terre dit métaphoriquement. Trop aérien dans sa manipulation du Bô, le Bozendoka trouve ici l’opportunité de comprendre qu’il doit réaliser l’union entre ciel et terre, mental et corps. Son mental se raffermit au contact du sol. Son Bô devient alors moins aérien, l’essence de son bois se rappelle alors d’être née et d’avoir poussé dans la terre ferme avant de s'élever vers le ciel. L'humilité est une vertu (DE en chinois = vertu).
A suivre…
Stéphane HEINTZ, 6°DAN
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